Hugues Le Gendre

(almanach n°301 du )

Les pères oublient

Comment oublier un peu moins et demander pardon ?

Concept

Je suis chaque fois bouleversé lorsque je lis cette lettre1 de William Livingstone Larned, intitulée : Un père oublie.

Écoute-moi, mon fils. Tandis que je te parle, tu dors, la joue dans ta menotte et tes boucles blondes collées sur ton front moite. Je me suis glissé seul dans ta chambre. Tout à l’heure, tandis que je lisais mon journal dans le bureau, j’ai été envahi par une vague de remords. Et, me sentant coupable, je suis venu à ton chevet.

Et voilà à quoi je pensais, mon fils : je me suis fâché contre toi aujourd’hui. Ce matin, tandis que tu te préparais pour l’école, je t’ai grondé parce que tu te contentais de passer la serviette humide sur le bout de ton nez ; je t’ai réprimandé parce que tes chaussures n’étaient pas cirées ; j’ai crié quand tu as jeté tes jouets par terre.

Pendant le petit déjeuner, je t’ai encore rappelé à l’ordre : tu renversais le lait ; tu avalais les bouchées sans mastiquer ; tu mettais les coudes sur la table ; tu étalais trop de beurre sur ton pain. Et quand, au moment de partir, tu t’es retourné en agitant la main et tu m’as dit : « Au revoir, papa ! », je t’ai répondu en fronçant les sourcils : « Tiens-toi droit !« .

Le soir, même chanson. En revenant de mon travail, je t’ai guetté sur la route. Tu jouais aux billes, à genoux dans la poussière ; tu avais déchiré ton pantalon. Je t’ai humilié en face de tes camarades, en te faisant marcher devant moi jusqu’à la maison... « Les pantalons coûtent cher ; si tu devais les payer, tu serais sans doute plus soigneux ! » Te rends-tu compte, mon fils ? De la part d’un père !

Te souviens-tu ensuite ? Tu t’es glissé timidement l’air malheureux, dans mon bureau, pendant que je travaillais. J’ai levé les yeux et je t’ai demandé avec impatience : « Qu’est-ce que tu veux ? »

Tu n’as rien répondu, mais, dans un élan irrésistible, tu as couru vers moi et tu t’es jeté à mon cou, en me serrant avec cette tendresse touchante que Dieu a fait fleurir en ton cœur et que ma froideur même ne pouvait flétrir... Et puis, tu t’es enfui, et j’ai entendu tes petits pieds courant dans l’escalier.

Eh bien ! Mon fils, c’est alors que le livre m’a glissé des mains et qu’une terrible crainte m’a saisi. Voilà ce qu’avait fait de moi la manie des critiques et des reproches : un père grondeur ! Je te punissais de n’être qu’un enfant. Ce n’est pas que je manquais de tendresse, mais j’attendais trop de ta jeunesse. Je te mesurais à l’aune de mes propres années.

Et pourtant, il y a tant d’amour et de générosité dans ton âme. Ton petit cœur est vaste comme l’aurore qui monte derrière les collines. Je n’en veux pour témoignage que ton élan spontané pour venir me souhaiter le bonsoir. Plus rien d’autre ne compte maintenant, mon fils. Je suis venu à ton chevet, dans l’obscurité, et je me suis agenouillé là, plein de honte.

C’est une piètre réparation ; je sais que tu ne comprendrais pas toutes ces choses si tu pouvais les entendre. Mais, demain, tu verras, je serai un vrai papa ; je deviendrai ton ami ; je rirai quand tu riras, je pleurerai quand tu pleureras. Et, si l’envie de te gronder me reprend, je me mordrai la langue, je ne cesserai de me répéter, comme une litanie :

« Ce n’est qu’un garçon... un tout petit garçon ! »

J’ai eu tort. Je t’ai traité comme un homme. Maintenant que je te contemple dans ton petit lit, las et abandonné, je vois bien que tu n’es qu’un bébé. Hier encore, tu étais dans les bras de ta mère, la tête sur son épaule... j’ai trop exigé de toi... Beaucoup trop...

Réaction

Elle me parle et résonne à un niveau très profond, probablement parce que je me suis retrouvé déjà quelques fois, honteux et coupable, à murmurer à mes enfants qui dorment que je vais essayer d’être un meilleur père et que j’ai besoin de leur pardon, de leur compréhension et de leur aide.

Invitation

Qu’est-ce qui serait différent si j’oubliais un peu moins ?

Notes & références

  1. Elle aurait été publiée pour la première fois en 1927 dans le Reader’s Digest puis reprise, avec l’autorisation de l’auteur, dans des centaines de publications. Je ne sais pas de qui est la traduction. Le titre original est Father forgets.

Des entités sont référencées (en lien avec d'autres apprenti-sages à découvrir) :
pardon (4) parentalité (24) William Livingstone Larned (1)

Ce graph montre le sous-ensemble des apprenti-sages de l'almanach en lien avec celui-ci via :

Il permet de montrer la tentative de lecture synoptique que j'essaie d'avoir dans ma pratique.

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Comment interagir avec le graphe de dépendance ?

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Je m'appelle Hugues Le Gendre et je convertis les problèmes complexes de mes clients en opportunités d'agir autement et de nous transformer (eux et moi).

L'almanach Apprenti-sage est une invitation quotidienne au développement personnel et professionnel. En partageant des théories et des pratiques, documentées précisément et mises en lien avec la vraie vie, et en posant une question importante par jour, il contribue à devenir plus conscient⸱e, s'examiner honnêtement et actualiser sa propre philosophie de vie. En tout cas, ça en a été l'effet sur moi et sur des milliers de lecteurs depuis que je publie mon journal !
Il donne aussi une idée de ce que je cherche à insuffler dans mes interventions.