Hugues Le Gendre

(note n°331 du )

Argument placebo

L'inconscience d'une action ostensiblement réfléchie

Dans une étude de 19781, très poétiquement titrée L’inconscience d’une action ostensiblement réfléchie, un groupe de scientifiques a testé l’impact de formuler une intention ou une argumentation pour convaincre une personne, même si cette intention a peu de lien avec ce que l’on essaie de provoquer chez l’autre.

En particulier, il s’agissait d’utiliser 3 argumentations différentes pour essayer de court-circuiter une file d’attente à la photocopieuse :

  1. Puis-je utiliser le photocopieur ?
  2. Puis-je utiliser le photocopieur, parce que je dois faire des photocopies ?
  3. Puis-je utiliser le photocopieur, parce que je suis très pressé ?

Dans le cas où la faveur était importante, car le nombre de photocopies à faire d’abord était grand, les sujets tests ont répondu conformément aux attentes : 42 % d’acceptation dans le cas 3, et 24 % dans les cas 1 et 2.

C’est lorsque la demande était pour seulement quelques copies que les réponses ont été étonnantes : 94 % d’acceptation dans le cas 3 et 60 % d’acceptation dans le cas 1, mais 93 % d’acceptation dans le cas 2 !

Ainsi, il a suffi de formuler un argument ou une intention aussi tautologique que possible pour obtenir l’assentiment de la personne en face. Dans ce contexte d’une faveur légère, les sujets n’ont pas fait une différence entre la simple caractéristique physique du message — le fait qu’il y ait un argument — et son caractère sémantique — le fait qu’il soit pertinent et logique ou non. Ils ont accepté sans vraiment réfléchir.

Je trouve ça assez fascinant.

Je dis toujours à mes enfants que s’ils cherchent à obtenir quelque chose de quelqu’un, il est important et utile d’expliquer pourquoi. J’essaie de leur expliquer que cela active l’empathie de l’autre et peut aider à la conviction. C’est une approche très inspirée de la Communication Non Violente2. Maintenant, je pourrais leur dire qu’ils peuvent formuler un argument, aussi peu logique qu’ils souhaitent et ça fera le job... tant que la demande est une faveur légère...

Mais je ne crois pas que mettre moins de conscience dans leur demande et dans la réponse qu’ils en attendent soit une bonne chose. Ça va à l’encontre de ma démarche depuis quelques années.

En tout cas, ça m’invite à questionner mes réponses automatiques, à favoriser mon système 2 plus que mon système 13. Le titre de l’étude capture bien un des paradoxes de l’humain.

Notes & références

  1. E. Langer, A. Blank et B. Chanowitz, The mindlessness of Ostensibly Thoughtful Action: The Role of « Placebic » Information in Interpersonal Interaction, Journal of Personality and Social Psychology, 1978, 36 (6), p 635-642.

  2. À relire : communication non violente.

  3. À relire : système 1, système 2.

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Je m'appelle Hugues Le Gendre et je convertis les problèmes complexes de mes clients en opportunités d'agir autement et de nous transformer (eux et moi).

Mes notes d'apprenti-sage sont la collection des petites choses du quotidien qui me nourrissent, modifient mes modèles mentaux, affinent ma philosophie de vie et me guident sur mon chemin d'apprenti-sage.

Une partie d'entre elles a été réunie dans un almanach : une invitation quotidienne au développement personnel et professionnel. En partageant des théories et des pratiques, documentées précisément et mises en lien avec la vraie vie, et en posant une question importante par jour, il contribue à devenir plus conscient⸱e, s'examiner honnêtement et actualiser sa propre philosophie de vie. En tout cas, ça en a été l'effet sur moi et sur des milliers de lecteurs depuis que je publie mon journal !
Il donne aussi une idée de ce que je cherche à insuffler dans mes interventions.

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