Hugues Le Gendre

(note n°333 du )

(note reprise dans l'almanach : aller lire la version enrichie)

Propriétaire, vraiment ?

Est-ce vraiment la bonne posture ?

En CP, ma fille a appris une chanson d’Alain Schneider dont le refrain, un peu entêtant, dit :

T’es rien sur la terre, terrien
Rien qu’un locataire
Et je te le dis tout net
Prends soin de ma planète !
Rien ne t’appartient, terrien
Ici sur la terre
Et je te le dis tout net
Prends soin de ma planète !

Ils sont assez engagés à l’école de notre bourg, on a des chansons sur les baleineaux à protéger, sur le fait que si l’on se met à bien partager, il y en aurait assez pour tout le monde, etc.

Mais celle-là, sur notre statut sur Terre, a trouvé un écho particulier chez moi.

Par exemple, avant de déménager, nous étions propriétaire d’un appartement en ville. Au-delà des aspects patrimoniaux, être propriétaire dans ce cadre c’est pas mal : on peut faire des travaux, installer la décoration qu’on veut, etc. Je me sentais vraiment propriétaire, et même un peu co-propriétaire avec des décisions collégiales à prendre pour l’immeuble. J’étais assez loin de la nature, au cœur de constructions très humanisées, avec une impression de pouvoir sur les choses...

Aujourd’hui, nous avons une maison entourée de nature. Nous ne sommes plus les seuls à habiter les lieux sur lesquels nous sommes installés. Il y a des oiseaux dans les arbres : pies, merles, corneilles, martins-pêcheurs, pics-verts, etc. Dans notre jardin traversent des animaux : hérissons, chats, ragondins, etc. Et sur notre petit étang, nous croisons des grenouilles, des libellules, des carpes, des canards et des poules d’eau qui viennent nicher et sont accompagnés au printemps par une dizaine de petits, etc.

La première fois que les grenouilles m’ont tenu éveillé une nuit de juin, j’étais assez énervé. À cet instant, j’avais envie de les faire partir de chez moi...1

Chez moi ! Alors même qu’elles étaient là bien avant moi... Il doit y avoir des générations de grenouilles depuis 40 ans ici, car l’étang a été installé à cette époque... Les oiseaux ne m’ont pas attendu pour aller et venir. Ce sont eux qui ont probablement dû voir une partie de leur terrain de jeu coupé en parcelles il y a 50 ans, des fruitiers arrachés, etc.

Le droit que j’ai sur ce terrain, du point de vue de la nature, est tout de même ténu. Une inscription dans un registre et la confiance dans notre société que ce droit sera respecté, ça me rassure. Mais les animaux s’en moquent bien.

Bref, mon rapport à la nature aujourd’hui est différent. Et c’est aussi pour ça que je voulais quitter la ville.

Par exemple : aujourd’hui, nous devons faire des travaux sur l’étang, mais depuis quelques semaines deux couples de canards se sont installés régulièrement. Je pourrais agir en propriétaire et déclencher des travaux maintenant et perturber la vie de beaucoup de créatures, qui me dérangent parfois, mais aussi m’enchante ! Et qui me font grandir...

À la place, je vais probablement plutôt devoir attendre l’automne pour déranger le moins possible tout ce beau monde, malgré tous les désagréments que cela pose — fuite, algues, etc. Et c’est pareil pour toute une partie des travaux qu’on veut faire. Il faut attendre la bonne saison, notamment pour planter, etc. Nous ne sommes plus du tout seuls maîtres à bord !

Quand je parle avec le maraîcher qui fournit mon AMAP, je prends encore plus conscience de ça. La nature est souveraine quand on la respecte. On peut dire qu’elle est dure ou impitoyable lorsqu’elle détruit en quelques minutes des plants qui poussaient depuis des mois. Mais ça serait lui prêter des sentiments ou des intentions humaines. En pratique, elle est juste elle-même. Pour le coup, lui ne se sent vraiment pas propriétaire.

Et moi non plus, je ne me sens plus vraiment propriétaire. Je ne me sens pas non plus simple locataire, mais plutôt gardien ou intendant de quelque chose.

Un principe de la permaculture2 dit que tu dois laisser un lieu dans de meilleures conditions que tu ne l’as trouvé, la terre plus riche qu’à ton arrivée. Et je ressens vraiment cette responsabilité. Elle dépasse la volonté naturelle de l’humain de contrôler son environnement, pour le remettre un peu à sa place.

Ça me donne envie de réfléchir aux autres endroits où je me comporterais comme un propriétaire, alors même que cette posture n’est pas du tout indiquée... Il y en a un qui me vient tout de suite. C’est toujours le même : mes enfants. Mais je suis sûr qu’il y en a d’autres !

Notes & références

  1. Les enfants rigolent d’ailleurs toujours beaucoup du fait que je suis sorti en caleçon avec une lampe de poche pour essayer vainement de les intimer de se taire quelques temps !

  2. À relire : permaculture de la vie ; faute et responsabilité ; accords toltèques.

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Je m'appelle Hugues Le Gendre et je convertis les problèmes complexes de mes clients en opportunités d'agir autement et de nous transformer (eux et moi).

Mes notes d'apprenti-sage sont la collection des petites choses du quotidien qui me nourrissent, modifient mes modèles mentaux, affinent ma philosophie de vie et me guident sur mon chemin d'apprenti-sage.

Une partie d'entre elles a été réunie dans un almanach : une invitation quotidienne au développement personnel et professionnel. En partageant des théories et des pratiques, documentées précisément et mises en lien avec la vraie vie, et en posant une question importante par jour, il contribue à devenir plus conscient⸱e, s'examiner honnêtement et actualiser sa propre philosophie de vie. En tout cas, ça en a été l'effet sur moi et sur des milliers de lecteurs depuis que je publie mon journal !
Il donne aussi une idée de ce que je cherche à insuffler dans mes interventions.

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