(note reprise dans l'almanach : aller lire la version enrichie)
Biais d'observation
Biais cognitif -- l'observateur fait partie du système et l'influence
Dans la série1 « mon cerveau me joue des tours2 », rubrique « mes biais cognitifs », je demande le biais d’observation parfois appelé l’effet Hawthorne.
En 1923, débutent, dans l’usine Hawthorne, des expérimentations sur l’environnement de travail des ouvrières ayant pour objectif d’améliorer leur productivité. Les chercheurs mettent à jour de très beaux résultats en faisant varier de nombreux paramètres de l’éclairage de l’usine, même dans des cas intuitivement néfastes.
Il faudra attendre le début des années 1930 pour qu’une autre équipe de chercheurs se rende compte que les résultats de l’expérience Hawthorne étaient faux : c’est la simple présence de l’observateur dans l’atelier, voire les interactions qu’il avait parfois avec les ouvrières, qui avait créé chez elles le surcroit de motivation et de productivité.
C’est depuis cette époque qu’on généralise les groupes de contrôle pour éviter cet effet. Mais ce biais d’observation peut continuer de se présenter dans une version : l’observateur lui-même peut biaiser sa propre interprétation de ce qui se passe, principalement lorsqu’il a un intérêt au résultat. Dans ce cas, c’est une variation du biais de confirmation3. C’est pour ça qu’on recommande maintenant de faire des expériences en double-aveugle — l’expérimentateur ne sait pas qui est le groupe de contrôle et qui est le groupe de test.
Ça me fait penser à la physique quantique. Un phénomène ne se déroule pas de la même façon du tout lorsqu’un observateur est présent pour le mesurer ou non. Il y a des expériences célèbres sur le sujet de la dualité onde-corpuscule4 — la lumière se comporte à la fois comme une onde diffuse et comme des paquets d’énergie. On connaît aussi l’histoire du chat de Schrödinger5.
Je suis convaincu que le biais d’observation, dans sa première version présente chez l’observé, est un des éléments qui fait qu’un coaching est efficace. La personne décide de payer quelqu’un pour l’aider à réfléchir, se reconnecter à des choses importantes et se remettre en mouvement dans sa vie. À partir de ce moment-là, le coach devient une partie intégrante du système et le coaché se comporte différemment.
Il a fallu attendre les années 1970 pour que cette vision émerge, notamment avec Gregory Bateson puis Paul Watzlawick et les cybernéticiens. Avant cette époque, dans le contexte de la thérapie, on considérait que le système n’était composé que du patient et de son environnement et que le thérapeute intervenait de façon extérieure et non perturbatrice face à cette boite noire. C’est encore une vision qui prévaut chez certains accompagnants.
Sachant qu’un coaching a pour objectif de s’étendre sur un nombre limité de séances, est-ce un problème que le coaché soit soumis à ce biais d’observation ? Y a-t-il un risque pour lui de revenir à son point de départ lorsqu’il est à nouveau seul ? Je crois que non pour plusieurs raisons :
- il se passe des choses entre les séances, lorsque le coach n’est pas là
- il se passe des apprentissages qui peuvent changer de façon définitive la vision du monde du coaché
- le plus important en coaching, c’est la remise en mouvement, car de toute façon, beaucoup d’autres choses changeront à ce moment-là et la dynamique et l’inertie du mouvement créé permettront de dissoudre de nombreux sujets au passage
Comme d’habitude, ce sujet du biais d’observation me questionne avec mes enfants... Il peut créer une forme de motivation extrinsèque chez eux qui n’est pas saine sur le long terme. La théorie de l’autodétermination6 m’a montré qu’il faut au maximum chercher une motivation intrinsèque. Et en même temps, je ne veux pas me retirer de ce système et les laisser grandir dans leur coin ! Et je suis heureux de pouvoir partager leur joie !
Bref, quel que soit la porte que je prends, je retombe dans la même pièce : c’est où flotte le dilemme de tirer ou relâcher7.
Notes & références
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J’essaie de documenter différents biais cognitifs, une fois par semaine, un peu comme je l’avais fait pour les lois de l’UX. ↩
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Cette expression est inspirée du livre : A. Moukheiber, Votre cerveau vous joue des tours, 2019. On me l’a chaudement recommandé. Je ne l’ai pas encore lu, mais ce podcast, avec le philosophe Charles Pépin, est à écouter. Édit. : c’est maintenant fait. ↩
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Cf. le biais de confirmation. ↩
-
Cf. la théorie de l’autodétermination. ↩
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C’est la grande question de ma vie. Enfin, au moins en ce moment ! ↩
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