(note reprise dans l'almanach : aller lire la version enrichie)
Carte et territoire
Confondre les deux mène au désastre et à la souffrance
En 1931, Alfred Korzybski donne une conférence1 en Louisiane dans laquelle il annonce :
Une carte n’est pas le territoire qu’elle représente, mais, si elle est juste, possède une structure similaire à ce territoire, ce qui justifie son utilité.
Cet aphorisme « la carte n’est pas le territoire » représente l’ensemble très complexe de sa théorie, la sémantique générale. Elle vise à proposer un nouveau mode de pensée — qu’il dit non aristotélicien — qui permettrait au monde, notamment scientifique, de dépasser les problèmes de son temps.
Ainsi, Korzybski souligne le rôle central du cerveau comme organe de représentation imparfait entre nous et la réalité2. Nous ne fonctionnons dans le monde qu’avec des représentations, plus ou moins précises.
On retrouve dans ce même champ l’autre aphorisme : « le mot n’est pas la chose. »
Ça paraît assez trivial : la réalité a un niveau infini de détails alors que mes sens et mon cerveau ont une bande passante limitée, ne permettant pas de la capter entièrement. Si c’était le cas, mon cerveau pourrait, avec une infinie précision, capturer son propre fonctionnement, et donc son fonctionnement en train de capturer son fonctionnement, etc. Je tombe dans une boucle infinie et vertigineuse, évidemment impossible.
Et même si c’était possible, est-ce que cela serait vraiment utile ? Partir en randonnée avec une carte à l’échelle 1:1, qui contiendrait la position de chaque grain de sable et brin d’herbe de mon chemin ne serait pas très pratique...
Ainsi, pour des raisons de praticité et d’économie, notamment d’énergie, j’utilise une carte pour appréhender le monde. Elle est fortement influencée par mes modèles mentaux, mes croyances profondes, mes biais cognitifs, mon éducation, la culture de ma société, etc.
Le problème vient de croire que la carte est le territoire, c’est-à-dire que ma représentation du monde est le monde. Lorsque j’utilise une croyance bien forte comme « dans la vie, il faut... » ou « de toute façon, le monde est ainsi fait que... », je confonds la carte et le territoire. Je plaque ma croyance sur le monde en faisant des inférences3 et des suppositions4 fortes sur le comportement des gens.
J’ai déjà partagé mon ambivalence5 envers les tests de personnalité — MBTI, etc. Car pour moi, la tentation est grande de croire que je suis tel type, de m’enfermer dedans — et d’enfermer les autres dans leur type — et finalement confondre la carte et le territoire.
Fabien Chabreuil6 propose un modèle7 qui résumerait notre niveau de conscience face à ce sujet, avec 4 modes qui nécessitent de plus en plus d’effort cognitif :
- Mode réactif : je réponds à la réalité au coup par coup sans analyse.
- Mode théorique : je dispose d’une carte que je confonds avec le territoire. Cette carte est plus ou moins vraie, mais je l’utilise sans discernement.
- Mode fondé sur des modèles : je sais que la carte n’est pas le territoire et je dispose de plusieurs modèles parmi lesquels choisir dans un contexte donné pour agir d’une façon fonctionnelle.
- Mode naturaliste : je refuse l’utilisation de carte.
Le mode le plus fonctionnel semble être le numéro 3.
C’est celui que j’essaie de développer, notamment au travers de cette rubrique apprenti-sage. Mon idée est de collecter des modèles, des éléments qui me font réfléchir et augmente la variété de cartes à ma disposition. Tout ça afin de fonctionner de la façon la plus saine et la plus écologique pour moi, mon entourage proche et le monde.
Notes & références
-
Alfred Korzybski. A Non-Aristotelian System and its Necessity for Rigour in Mathematics and Physics, 1931. ↩
-
Et si cette réalité n’est que perçue, peut-on vraiment dire qu’elle existe en tant que telle ? ↩
-
Voir l’apprenti-sage ça parle de moi. ↩
-
Et l’un des quatre accords toltèques nous conseille de l’éviter. ↩
-
C’était au sujet du biais de confirmation. ↩
-
Fabien Chabreuil est un formateur qui s’est notamment spécialisé sur 3 sujets : la spirale dynamique, l’ennéagramme et la sociocratie. Il a écrit avec son épouse plusieurs ouvrages dont celui-ci : F. Chabreuil et P. Chabreuil, La spirale dynamique, 2010. ↩
-
Son analyse est partagée sur son blog. ↩
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