Collaborer aujourd'hui
Pourquoi en parle-t-on autant aujourd'hui ?
Il y a quelques jours, j’ai documenté le facteur C de l’intelligence collective1. Dans la foulée, Christophe, un lecteur assidu d’Apprenti-sage, m’a questionné sur les raisons pour lesquelles c’était devenu un sujet si présent aujourd’hui, avec une importante masse de littérature, alors même que les humains collaborent à des « œuvres communes magistrales [...] depuis des millénaires. »
Je lui ai fait une première réponse, à la volée et donc évidemment incomplète, que je documente ici.
J’évacue d’abord le fait que ça n’est pas parce qu’il y a beaucoup de littérature sur le sujet qu’elle est entièrement pertinente et sans redite. La facilitation est devenue un métier qui se développe vite — je l’ai observé à ma petite échelle déjà — et la collaboration est un sujet à la mode. Alors évidemment, beaucoup de monde écrit beaucoup de choses sur le sujet — et je ne suis pas le dernier !
Si on regarde les grands ouvrages collectifs du passé, comme les cathédrales, les ponts, les châteaux, les jardins, les constitutions, les campagnes militaires, je pense déjà que les métiers impliqués étaient plus silotés. Ils étaient bien structurés, avec les guildes par exemple, avec une documentation interne des façons de faire naturelle et transmise sous la forme du compagnonnage. Donc chaque métier maîtrisait bien son périmètre et savait le transmettre.
Les temps de réalisation, notamment des édifices, étaient beaucoup plus longs. La construction initiale de Notre-Dame de Paris a pris environ 90 ans, soit près de 4 générations de bâtisseurs. On avait le temps de réfléchir et d’ajuster. On avait le temps de sérialiser le travail et de ne pas être pressé à chaque étape. Les techniques ont évidemment changé, mais on conçoit et livre aujourd’hui un grand programme de bureaux en moins de 5 ans. La nécessité de parallélisation des travaux et donc de faire collaborer des métiers différents devient évidente.
De plus, la complexité des projets a explosé. Ce qui fait que, même avec beaucoup d’expertise et d’expérience, c’est rare d’avoir une capture cognitive totale du problème par une personne. Ainsi, il faut faire collaborer plus qu’avant pour que tous les aspects du problème soient pris en compte par l’ensemble des personnes en mesure de le faire.
Une autre cause probable est la taylorisation de l’activité, même intellectuelle. Afin d’optimiser la productivité, le travail a été découpé et réparti par expertise de plus en plus pointue, dans l’usine d’abord puis dans le reste de l’entreprise, à l’hôpital, etc. Les gains locaux sont très importants effectivement, mais pour des tâches simples ou compliquées, mais pas complexes2. La collaboration est un sujet complexe et les gains locaux ne se traduisent pas forcément en gains globaux3.
Du coup, on doit réapprendre à collaborer dans un cadre qui a plutôt poussé à la sérialisation de la pensée et qui a déconnecté chacun de l’objet final sur lequel il ou elle collabore. C’est le cœur des activités que je mène aujourd’hui : casser les silos pour refaire travailler ensemble des gens qui ont été isolés par l’organisation du travail.
Enfin, je me dis aussi qu’avant, cette intelligence collective devait évidemment apparaître spontanément, mais à seulement quelques endroits propices. Mais aujourd’hui, on cherche à la faire émerger massivement, à beaucoup plus d’endroits qu’avant. Et donc ça nécessite de l’accompagnement.
Si on rajoute les apports de la machine — logiciels, algorithmes, aide à la décision, etc. —, je crois qu’elle a augmenté notre productivité individuelle, mais plutôt fait baisser notre QI collectif.
Il faut un effort conscient et designé — au sens conçu — pour le rétablir, au moins au début. Car une fois qu’on a appris ou réappris à collaborer et qu’on a introduit des boucles de rétroaction intelligente, le système prend une bonne direction naturellement et en autonomie.
Notes & références
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À relire : ce que nous savons ensemble. ↩
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À relire : complexe ou compliqué. ↩
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À relire : optimisation locale. ↩
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