Hugues Le Gendre

(note n°4 de la série soph.ia)

Deuxième ligne

En IA, il peut aussi payer de ne pas être sur le front

À ceux qui suivent un peu les stratégies des grands acteurs de l’IA, il paraît assez clair que Microsoft ne fait pas vraiment partie des acteurs qui comptent... en tout cas en matière d’innovation pure.

Le reach de la firme de Redmond est colossal, mais sa technologie n’est pas à la pointe. Ils n’ont développé eux-mêmes que quelques modèles mineurs et se reposent quasi exclusivement sur leur partenariat avec OpenAI.

Selon le patron de l’IA de Microsoft, Mustafa Suleyman, c’est voulu1.

Sa stratégie est « d’être 3 ou 6 mois en retard pour avoir le recul nécessaire pour identifier et accélérer sur les cas d’usage qui ont le plus de potentiel tout en économisant des ressources. »

Pour lui, il s’agit d’être le « très serré n° 2 » (autrement dit off-frontier2).

Il reconnaît qu’à long terme, il faudra être autonome sur les modèles, mais le partenariat signé avec OpenAI jusqu’en 2030 leur apporte pour le moment « beaucoup de succès. »

Est-ce la post-rationalisation d’un acteur qui sait qu’il ne gagnera de toute façon pas la course ?

Dans tous les cas, c’est une approche intéressante dont les décideurs peuvent s’inspirer.

Tout le monde ne peut pas être leader technologique. Et en IA, les enjeux peuvent paraître importants, mais les ressources nécessaires pour y parvenir sont colossales.

La « chance » que nous avons est que les laboratoires qui entraînent des modèles doivent rentabiliser leurs investissements. Ainsi, ils cherchent à en monétiser l’usage le plus vite possible. Ou bien ils les publient en open-source pour que d’autres s’en saisissent. C’est une dynamique très différente des grandes innovations précédentes qui restaient longtemps au bénéfice unique de leurs inventeurs.

Cette marchandisation des modèles, via les très riches API mises à disposition, permet à des acteurs de second rang de rivaliser sur les cas d’usages concrets, plutôt que sur la technologie sous-jacente.

Après, le risque est de découvrir une niche à très haute valeur ajoutée qui est ensuite intégrée verticalement par un leader (je pense à toi, Perplexity, avec les assistants de recherche...).

Voici donc un premier modèle stratégique simple3 qui peut aider à construire une approche IA au sein d’une organisation : « sur le front/en deuxième ligne » (on/off-frontier).

Notes & références

  1. Lire l’interview (en anglais).

  2. En IA générative, les laboratoires communiquent souvent sur leur frontier-models : c’est-à-dire leurs modèles les plus avancés dans une catégorie donnée. Une catégorie peut-être une taille de modèle (dont une mesure est le nombre de paramètres) ou des capacités spécifiques (p. ex. générer des images, permettre de « raisonner »). Elle se traduit souvent par un positionnement prix particulier qui permet aux utilisateurs avancés de sélectionner le modèle le plus adapté à une tâche donnée. Lorsqu’un modèle a un rapport valeur/prix peu favorable (loin de la frontière donc), comme GPT-4.5, il n’est en général pas mis en avant, voire déprécié rapidement...

  3. À relire : Simple

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En grec, sophia signifie « sagesse pratique », « discernement » et « compétence ».
Cela me semble tout à fait approprié pour désigner une approche de l'intelligence artificielle qui ne perd pas de vue le bien commun et la sagesse pratique. Elle fait le contrepoids à l'approche dominante techno-enthousiaste, souvent dépourvue de recul critique et qui multiplie régulièrement les démonstrations à valeur ajoutée faible et impacts systémiques négatifs.
Car si l'IA va transformer notre monde, il me semble utile de monter collectivement en compétences sur ce que cela implique afin d'orienter au mieux la direction que prend notre société.

Je m'appelle Hugues Le Gendre et j’accompagne des décideurs et leurs organisations sur un chemin d’innovation et de transformation positives. Et ça me transforme.