(note reprise dans l'almanach : aller lire la version enrichie)
Doctrine
La métaphore du radeau explique la différence avec la spiritualité
Je continue avec l’écrivain et philosophe zen Alan Watts1 ce matin2 :
Je pense, plutôt, à l’ancienne métaphore bouddhiste de la doctrine qui est comme un radeau pour traverser une rivière. Quand tu as atteint l’autre rive, tu ne l’emportes pas sur ton dos, mais tu le laisses derrière toi. [...]
Pour filer encore la métaphore : si tu dois traverser la rivière, tu dois te hâter, car si tu traînes sur le radeau, le courant va t’emporter plus en aval, jusqu’à l’océan et là, tu resteras coincé sur le radeau pour toujours. Et il est si facile de rester coincé sur radeau : en religion, en psychothérapie, en philosophie. Voici une autre analogie bouddhiste : la doctrine est comme le doigt qui pointe vers la lune, et on doit faire bien attention à ne pas confondre le doigt et la lune. Beaucoup d’entre nous, j’en ai peur, tètent le doigt de la doctrine par confort, au lieu de regarder dans la direction où il pointe.
Comme d’habitude, Watts est provocant, mais c’est sa technique pour fasciner et surtout générer des prises de conscience.
En tout cas, il ne s’est probablement pas fait que des copains avec ce passage. Certains seront gênés de voir la religion dans le même sac que la psychothérapie, alors que d’autres le seront de voir la psychothérapie dans le même sac que la religion... sans parler de la philosophie ! Watts a l’honnêteté et le mérite de mettre ses propres enseignements dans ce même sac...
J’aime bien la première métaphore du radeau. Elle me rappelle que la doctrine — sous toutes ses formes — n’est qu’une aide ponctuelle pour avancer dans mon chemin de vie. C’est un ensemble de croyances — aidantes au moins à ce moment-là —, souvent enveloppées de rituels, qui doivent m’aider à continuer l’exploration de ma vie, de ma spiritualité, etc. Le risque est de m’y enfermer et d’oublier le chemin que je parcourais, de perdre de vue ce qui était important : mener ma vie et, au passage, découvrir qui je suis.
Et Watts m’explique que c’est probablement un besoin de confort qui me pousse à ça. Au moins, en suivant une doctrine, je peux me laisser porter. J’en suis les rites — de suivre et d’être — : les cérémonies religieuses, le rendez-vous chez le psy, les conférences de philosophie. Mais je peux ne pas vraiment descendre et simplement flotter. Je ne questionne pas forcément ce qu’il y a derrière et ce qui est vrai pour moi. Je fais trop confiance au processus. Il y a des moments de ma vie où ce comportement est utile. Soit parce que je ne sais pas comment traverser cette rivière qui coule devant moi, soit parce que je me sens seul et j’ai besoin du réconfort d’une communauté et de ses rites.
Mais Watts m’invite, après quelque temps, à me poser la question profonde de pourquoi j’y reste. Et il a une idée très précise sur la question : je vais y rester par confort, alors même que j’aurais fait le pas ou les apprentissages qui m’auraient permis de continuer mon chemin.
L’enjeu, pour moi, de cette prise de conscience n’est pas de renier toutes formes de religion ou autre. Déjà, je ne parle que de moi3. Mais c’est surtout l’occasion de me rappeler la différence entre doctrine et spiritualité. La première peut servir d’échafaudage à la seconde, mais si je n’y mets pas beaucoup de conscience, ses charpentes peuvent devenir les barreaux d’une prison.
Notes & références
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À relire : l’absence de but, l’intelligence du pollen, si les anges volent et résoudre le mystère. ↩
-
A. W. Watts, Become What You Are, 2003. La traduction est personnelle, le livre n’ayant a priori pas été traduit. ↩
-
Et dans mes apprenti-sages, je n’utilise pratiquement que la première personne plutôt qu’un on ou un nous qui engloberait tout le monde. Mes apprenti-sages parlent de moi4. ↩
-
À relire : projections. ↩
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