(note reprise dans l'almanach : aller lire la version enrichie)
Erreur du parieur
Biais cognitif -- pour se "rattraper" la vie doit maintenant agir dans l'autre sens
Dans la série1 mon cerveau me joue des tours2, rubrique mes biais cognitifs, je demande l’erreur du parieur.
C’est une erreur de logique qui consiste à croire que si un résultat peu probable est obtenu un grand nombre de fois lors d’un tirage aléatoire — par exemple, une pièce tombe 10 fois de suite sur pile —, alors les tirages suivants vont compenser cette déviation en donnant le résultat opposé — le prochain tirage sera plus surement face — afin de « rétablir » une proportion attendue. En réalité, si les tirages sont indépendants, alors nous avons toujours la même probabilité d’obtenir chacun des résultats attendus...
Il est ultra-présent dans les jeux d’argent : « je viens de perdre, mais je vais me refaire ! », « le prochain jet de dé va surement donner un 6, il n’est pas sorti depuis longtemps ! » Le cas le plus connu s’est déroulé le 18 août 1913 au Casino de Monte-Carlo, lorsqu’à la roulette, le noir est sorti 26 fois de suite — la probabilité que cela arrive est de l’ordre de 1 sur 67 millions — et de nombreux joueurs ont perdu des fortunes en pensant que le rouge allait sortir de nombreuses fois pour compenser.
Le polymathe Laplace l’a observé aussi chez de futurs parents : ils comptaient la proportion de garçons déjà nés dans le mois et si elle était inférieure à 50 %, ils se disaient qu’ils avaient plus de chances d’avoir un garçon — phénomène de rattrapage pour qu’à la fin du mois la répartition soit 50/50.
Dans le contexte du développement personnel et interpersonnel, ce biais apparaît lorsque je me dis que c’est « à mon tour » d’obtenir quelque chose de la vie, car je ne l’ai jamais eu ou en tout cas, pas depuis longtemps — richesse, statut, amour, etc.
Et là, je deviens partagé sur le sujet. D’un côté, ça peut être une croyance aidante de me dire que quelque chose de bien va m’arriver maintenant, car cela peut me mettre dans une bonne disposition pour saisir des occasions favorables3. D’un autre côté, ça peut aussi être une croyance limitante de me dire que « la vie me doit quelque chose », car cela peut me mettre dans une posture d’attentisme. Il y a quelque chose de très vrai pour moi dans l’adage « aide-toi et le ciel t’aidera. »
J’avoue, je joue à l’Euromillions lorsque la cagnotte dépasse 120 M€... Pourquoi 120 ? Parce que j’ai construit une prérationalisation un peu ridicule en attendant que l’espérance de gain soit un peu plus favorable... En tout cas, à chaque tirage, je ne peux pas m’empêcher de me dire que « ça fait longtemps que je n’ai pas gagné, c’est à mon tour ! » Mais ce n’est pas pour autant que je vais choisir les numéros qui sont statistiquement moins sortis ces dernières années en pensant que leur tour est venu ! Au fond, je ne joue pas vraiment pour gagner, mais plutôt pour me dire : « qu’est-ce que cela changerait dans ma vie de gagner ? Est-ce que je ne peux pas mettre une partie de ces changements dans ma vie dès maintenant ? »
Comment éviter ce biais ? Et bien, c’est très dur : des études ont montré qu’on y est soumis alors même qu’on a été prévenu juste avant de ses effets4 ! Deux psychologues Gestalt ont néanmoins montré5 qu’on peut limiter l’effet de l’erreur du parieur en essayant de considérer vraiment chaque évènement comme indépendant — ou à la limite comme débutant une série — et pas comme faisant partie d’une série déjà commencée.
Notes & références
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J’essaie de documenter différents biais cognitifs, une fois par semaine, un peu comme je l’avais fait pour les lois de l’UX. ↩
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Cette expression est inspirée du livre : A. Moukheiber, Votre cerveau vous joue des tours, 2019. On me l’a chaudement recommandé. Je ne l’ai pas encore lu, mais ce podcast, avec le philosophe Charles Pépin, est à écouter. Édit. : c’est maintenant fait. ↩
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L. R. Beach, et R. G. Swensson, « Instructions about randomness and run dependency in two-choice learning », Journal of Experimental Psychology, 1967, 75 (2), p 279–282. ↩
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C. J. Roney et L. M. Trick, « Grouping and gambling: A gestalt approach to understanding the gambler’s fallacy », Canadian Journal of Experimental Psychology, 2003, 57 (2), p 69–75. ↩
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