(note reprise dans l'almanach : aller lire la version enrichie)
Le mot n'est pas la chose
La confusion entre la chose et sa représentation est source d'incompréhension et de souffrance
Un mot n’est pas la chose, mais un éclair à la lueur duquel on l’aperçoit.
— Denis Diderot
À l’occasion de l’apprenti-sage sur la carte et le territoire1, j’ai mentionné cette confusion que l’on fait souvent entre la réalité et notre perception de la réalité.
Cette confusion s’étend très souvent aux mots que l’on utilise.
Pour l’être humain, le langage est au cœur de tout. Non seulement, on fait reposer sur lui une partie très importante de notre communication, verbale ou écrite. Mais aussi, il est au cœur de notre processus de réflexion et de cognition. Nous pensons en utilisant des mots.
À la suite de Diderot, Spinoza, puis Kant ont beaucoup réfléchi à expliquer la différence entre le mot et la chose. Pour Kant, par exemple, il faut séparer le noumène (la chose) du phénomène (la représentation qu’on en a). Et il postule qu’on ne pourra jamais expérimenter ou toucher du doigt le noumène.
Je vois deux niveaux d’exploration de la séparation entre l’objet et la chose.
Le premier est le plus trivial : c’est l’objet du tableau très célèbre de Magritte La trahison des images2 qui représente une pipe accompagnée de la phrase « ceci n’est pas une pipe » écrite en dessous.
Le second a été renforcé encore par Alfred Korzybski avec sa théorie de la sémantique générale, à l’origine de l’aphorisme : la carte n’est pas le territoire.
Ainsi, ma connaissance des objets dépend de moi3, le sujet connaissant, au moins autant que des objets à connaître. Mon système nerveux, par le langage, élabore des significations qui résultent de mon développement psychosocial et non de réalités objectives. Les mots que je choisis portent tout le poids de mon passé, de ma culture, de mon éducation, de mes croyances.
Mais aussi du contexte. Prenons l’exemple du mot sexe. En fonction du contexte, ce mot peut signifier des choses bien différentes : la fonction ou l’organe biologique, le genre d’une personne, ou encore la sexualité. Ainsi, en fonction du contexte, il induire ou non de l’émotion, évoquer ou non le désir, être trivial ou scientifique. C’est le même mot, mais ce qu’il porte via le langage se révèle source de confusions ou de quiproquo.4
La séparation, plus ou moins marquée, entre le mot et la chose est donc à l’origine d’incompréhension, mais aussi de souffrance.
Par exemple, lorsque l’on commence à parler de ressources humaines dans une entreprise, on oublie parfois qu’on parle de vrais humains. Cette abstraction facilite la vie des dirigeants : elle rend cognitivement plus facile de les réorganiser, de décider pour elle, etc. À une certaine échelle, ça apparaît à beaucoup comme une nécessité. Mais n’oublions pas non plus qu’on risque ainsi de manquer parfois d’empathie pour les effets que cela peut avoir chez chacun.
Notes & références
-
Voici une photo du tableau. D’une certaine manière, c’est une représentation d’un objet qui est lui-même une représentation d’un objet ! ↩
-
Cet exemple provient de la page Wikipédia sur la sémantique générale. ↩
Réagir & partager
- Participe à la conversation ou à son écho sur LinkedIn !
- Temps de lecture : 3 minutes
- Pour te poser une sage question chaque matin :