(note reprise dans l'almanach : aller lire la version enrichie)
Mythes sur le cerveau
Ça n'est pas comme ça que mon cerveau fonctionne
Alors même que la science continue de découvrir des choses fascinantes sur notre cerveau, un certain nombre de mythes persistent toujours. Lisa Feldman Barrett est une neuroscientifique et professeur de psychologie qui a eu à cœur d’en démonter trois pour Nautilus1, un magazine scientifique en ligne.
Mythe n° 1 : mes fonctions sont circonscrites dans des zones précisément localisées du cerveau
Autrement dit, chaque zone du cerveau est dévolue à une fonction. C’est faux.
Les mêmes neurones peuvent participer à plusieurs fonctions différentes2. Par exemple, les neurones du cortex visuel jouent aussi un rôle dans le sens du toucher, de l’ouïe et pour le mouvement. Si je me mets un bandeau sur les yeux pendant plusieurs jours, ils vont développer un rôle accru sur le toucher3.
Dans cette famille, il y a un mythe fameux et attirant : le fait que mon cerveau actuel soit la superposition de trois couches, l’une profonde et reptilienne qui accueille mes instincts, l’une intermédiaire et mammifère — le système limbique — qui accueille mes émotions et l’une superficielle et moderne — le néocortex — qui est exclusive aux humains et permet le contrôle des deux autres. C’est tout aussi faux, même si ça fait une belle histoire, qui me place au-dessus des autres animaux.
Mythe n° 2 : mon cerveau réagit aux stimuli du monde
Autrement dit, mon cerveau est majoritairement au repos et lorsqu’il se passe quelque chose autour de moi, une partie se réveille et réagit. C’est faux.
En vrai, mon cerveau est perpétuellement en activité, faisant des prédictions sur mon environnement et me préparant à l’action4. Ceci a lieu de façon complètement inconsciente. Il est donc en anticipation constante et en apprentissage permanent.
Par exemple, un batteur au baseball n’a pas le temps de réaction nécessaire pour frapper la balle une fois qu’il a estimé la trajectoire. Son cerveau anticipe donc et prédit une position en fonction du mouvement du lanceur et de l’expérience du batteur.
Mythe n° 3 : il y a une séparation claire entre les problèmes du corps et les problèmes de l’esprit
Descartes a popularisé l’idée de cette séparation forte entre l’esprit et le corps, alors même que la réalité est beaucoup moins tranchée5. Les neuroscientifiques ont maintenant démontré que les mêmes réseaux neuronaux sont utilisés pour contrôler le corps et créer l’esprit6 — par exemple le cortex cingulaire antérieur.
Un même symptôme de tension à la poitrine, détecté par le cerveau, peut me pousser à aller voir un cardiologue ou un psychiatre, en fonction de son contexte d’apparition. Ainsi, des maladies du corps et de l’esprit sont probablement beaucoup plus liées qu’on ne croit : par exemple la dépression7 et les maladies cardiovasculaires8 ont en commun un problème métabolique et on commence à croire que l’une peut causer l’autre et vice-versa, ou au moins qu’elles aient une cause commune9.
Finalement, la revue de ces mythes me rappelle deux choses :
- le monde est beaucoup plus compliqué que je crois et mes tentatives de simplification, bien que nécessaires, sont erronées. Comme le dit Paul Valery10 : « ce qui est simple est faux, ce qui est compliqué est inutilisable. »
- l’humain aime se raconter des histoires qui le rendent différent, voire unique
À la clé, il y a la démonstration que je dois redoubler d’humilité sur ce que je sais et de prudence sur ce que je ne sais pas. Sans compter ce que je ne sais pas que je ne sais pas.
Notes & références
-
M. L. Anderson, After Phrenology, 2014. ↩
-
L. B. Merabet et al., « Rapid and reversible recruitment of early visual cortex for touch », PLoS One, 2008, 3 (e3046). ↩
-
J. B. Hutchinson et L. F. Barrett, « The power of predictions: An emerging paradigm for psychological research », Current Directions in Psychological Science, 2019, 28, p 280-291. ↩
-
À relire : marqueurs somatiques et anti-cogito. ↩
-
I. R. Kleckner et al, « Evidence for a large-scale brain system supporting allostasis and interoception in humans », Nature Human Behavior, 2017, 1 (0069). ↩
-
L. A. Pan et al, « Neurometabolic disorders: Potentially treatable abnormalities in patients with treatment-refractory depression and suicidal behavior », The American Journal of Psychiatry, 2016, 174, p 42-50. L. Shao et al, « Mitochondrial involvement in psychiatric disorders », Annals of Medicine, 2008, 40, p 281-295. ↩
-
J. D. Tune, A. G. Goodwill, D. J. Sassoon et K. J Mather, « Cardiovascular consequences of metabolic syndrome », In-Depth Review of Metabolic Syndrome, 2017, 183, p 57-70. ↩
-
À relire : cum hoc ergo propter hoc. ↩
-
À relire : ce qui est simple. ↩
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