(note reprise dans l'almanach : aller lire la version enrichie)
Paresse sociale
Mon effort individuel diminue avec la taille du groupe
En psychologie sociale, la paresse sociale décrit le phénomène où l’effort individuel diminue en fonction de la taille du groupe.
Il a d’abord été mis en lumière dans un contexte de force physique. Maximilien Ringelmann a montré en 18821 que plus on ajoutait d’hommes pour tirer une lourde charge, moins l’effort individuel de chacun était important par rapport à l’effort fourni en étant seul — à 5 personnes, chacun n’utilisait que 70 % de sa force et à 8 personnes, 49 %.
De nombreuses études ont suivi depuis et ont vérifié ce phénomène dans d’autres contextes, notamment intellectuels. Une méta-analyse réalisée en 19932 a même proposé le modèle de l’effort collectif qui dit que la force motivationnelle est le produit de :
- l’expectation, la relation perçue entre l’intensité de l’effort et la performance attendue
- l’instrumentalité, la relation perçue entre la performance et un résultat
- la valence du résultat, la valeur affective attribuée par anticipation à l’obtention d’un résultat
C’est assez compliqué à creuser, car ce modèle a voulu unifier plusieurs théories. Mais les points clés sont les suivants.
Dans un cadre individuel, je me donne plus, car je fais un lien plus fort entre mon effort et la valeur du résultat.
Dans un cadre collectif, je me donne moins, car
- la valeur va être divisée sur le groupe
- l’effort individuel et la responsabilité vont se diffuser
- j’ai le sentiment que certains vont s’attribuer le crédit à mes dépens
- je perçois que d’autres se donnent moins que moi et je ne veux pas compenser
- l’effet spectateur me pousse à croire qu’il y a bien quelqu’un qui fera l’effort à ma place
En revanche, ces effets diminuent ou disparaissent lorsque :
- je suis dans un groupe que je respecte fortement, je me donne plus, notamment pour chercher une approbation
- je travaille sur une tâche porteuse de sens pour elle-même, je me donne plus, car ma satisfaction projetée va être plus forte
Tout ceci a évidemment de nombreuses conséquences dans le contexte professionnel. Et pour moi, qui travaille principalement à activer l’intelligence collective d’un groupe, ça pose de nombreuses questions, ouvre des sujets d’expérimentation et renforce certaines convictions.
Lorsque je fais travailler les gens en groupes, je favorise des groupes autour de 5 personnes maximum, si c’est possible. Au-delà, les résultats diminuent et j’observe souvent des gens moins investis dans les discussions et qui nécessitent un effort particulier de facilitation pour intégrer. Avec beaucoup moins de personnes, on réduit trop le facteur C3 et l’intelligence collective disparaît.
Ça interroge aussi sur la composition des groupes que je réunis. En prenant des gens d’horizon divers, le facteur C est fort. Mais dans certaines organisations, je dois pour ça aller chercher des gens venant de silos séparés. Ils ont ainsi peut-être moins de respect les uns pour les autres, ce qui augmente la probabilité de paresse sociale. C’est pour ça qu’un atelier qui fonctionne bien tisse un lien plus fort entre les gens pour leur permettre de donner le maximum d’eux-mêmes.
De plus, ça confirme qu’il faut vraiment prendre le temps de se relier à l’intention et donner du sens aux travaux que je soutiens par mon processus de facilitation. L’expliciter vraiment en début d’atelier et la renforcer tout du long permet de réduire cette paresse sociale.
Enfin, faire présenter les idées générées par le groupe par quelqu’un qui n’est pas en position de leadership est intéressant, car il augmente la responsabilité et réduit le risque d’appropriation — au moins perçue — du crédit.
Bref, tout ça ne s’improvise pas complètement et c’est un vrai métier !
Notes & références
-
M. Ringelmann, « Recherches sur les moteurs animés. Travail de l’homme », Annales de l’Institut national agronomique, 1913, 1 (VII), p 1-40. ↩
-
S. J. Karau et K. D. Williams, « Social loafing: A meta-analytic review and theoretical integration », Journal of Personality and Social Psychology, 1993, 65 (4), p 681–706. ↩
-
À relire : ce que nous savons ensemble. ↩
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