(note reprise dans l'almanach : aller lire la version enrichie)
Profit et oxygène
Confondre moyen et fin mène au désastre, pour l'entreprise et pour l'humain
Le profit pour une entreprise est comme l’oxygène pour une personne. Si vous n’en avez pas assez, vous êtes perdu. Mais si vous croyez que votre vie a pour objectif la respiration, vous manquez vraiment quelque chose.
— Peter Drucker
Autrement dit, l’entreprise a besoin du profit pour vivre, mais ne vit pas pour lui. C’est un moyen et non une fin.
C’est une position de Peter Drucker qui m’a assez étonnée, venant de lui, même si je la partage largement.
La première fois que j’ai croisé cette citation, c’est dans le livre fondateur de Frédéric Laloux sur les entreprises opales1. Elle y est fort à propos, car Laloux y introduit des principes d’un modèle d’entreprise plus consciente, correspondant à un stade plus avancé de la spirale dynamique2.
De nombreuses entreprises se fourvoient sur ce sujet. La recherche exclusive et excessive de la richesse pour l’actionnaire, ou pire pour le dirigeant, positionnée souvent comme un devoir fiduciaire mène à des absurdités : évasion fiscale, décisions à court terme, destruction des communs, etc. Heureusement, de nouveaux modèles existent — les organisations opales, les coopératives, les B Corp, etc. — et elles ont toutes à cœur de prendre en compte plus largement les besoins de leur écosystème. Aux actionnaires s’ajoutent par exemple les employés, les partenaires, les clients, la société locale, la planète, etc.
En miroir de l’entreprise, il y a la personne. Et cette remarque sur le profit s’applique aussi bien à la richesse pour l’homme, mais aussi au pouvoir, au revenu, etc. S’ils deviennent une fin pour moi, alors je passe à côté de quelque chose.
J’ai vécu des moments, rares heureusement, où la situation est plus incertaine sur ce sujet. Des moments où le bas de la pyramide de Maslow3 est un peu secoué, chose à laquelle je ne suis pas habitué, car j’ai l’immense chance de l’avoir largement sécurisé pour me concentrer sur l’étage final de la réalisation de soi4. Dans ces instants, je ressens finement le manque, ou au moins l’incertitude qui laisse croire au futur manque. Je vois très précisément comment les moyens d’action deviennent plus limités sans cet oxygène.
Et je ne suis pas le seul : ces derniers mois de COVID ont mis beaucoup de monde en apnée, notamment parmi les communautés d’indépendants ou d’entrepreneurs, beaucoup moins protégés.
Lorsque l’oxygène revient, lorsque la privation s’arrête et que la respiration peut devenir plus profonde, le risque, qui vient plutôt du haut de la pyramide, est d’en faire un objectif, de vouloir l’accumuler à tout prix, pour lui-même.
Reprendre son souffle, évidemment. Bien se remplir les poumons pour pouvoir retenir encore un peu sa respiration si besoin est, oui. Les faire exploser à force de les gonfler, non.
Notes & références
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F. Laloux, Reinventing Organizations: A Guide to Creating Organizations Inspired by the Next Stage of Human Consciousness, 2014. Existe aussi en version illustrée : F. Laloux et É. Appert, Reinventing Organizations: An Illustrated Invitation to Join the Conversation on Next-Stage Organizations, 2016. ↩
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Je n’ai pas encore documenté ce sujet ici, mais il offre une clé très intéressante de lecture du développement de l’humain et en miroir, de la société. À lire absolument : F. Chabreuil et P. Chabreuil, La spirale dynamique, 2010. ↩
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Il s’agit des besoins de survie et notamment de sécurité. ↩
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Déjà évoqué dans : biais des survivants. ↩
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