(note reprise dans l'almanach : aller lire la version enrichie)
Sans espérance ni crainte
Que se passe-t-il quand on enlève la carotte et le bâton ?
Je suis beaucoup plus porté par la spiritualité que par la religion, la différence entre les deux étant cristallisée par les dogmes.
Du coup, j’ai été profondément touché par ce propos de Rabia al Adawiyya1, rapporté au XIVe siècle par Aflaki, où elle répond à quelqu’un qui lui demande où elle va, avec une torche allumée dans une main et un seau rempli d’eau dans l’autre :
Je vais vers le ciel, pour jeter du feu sur le paradis et de l’eau sur l’enfer, afin que tous les deux disparaissent et que les hommes regardent Dieu sans espérance ni crainte.
Que l’on soit croyant ou pas, cette remarque a beaucoup de mérite. Elle ouvre sur une question fondamentale : que se passe-t-il quand on enlève la carotte et le bâton ?
Que se passe-t-il quand on commence à faire les choses pour elles-mêmes ou pour nous-mêmes, plutôt que par espérance ou par crainte ? J’ai exploré déjà le sujet de l’autodétermination2, mais si je sors un peu des modèles, je vois trois choses.
Je crois qu’il y a d’abord une énergie toute différente. Une énergie plus aiguë, plus tendue vers l’objet. Mais en même temps, une énergie plus douce, plus tolérante de l’éventuel échec. En quelque sorte, le reflet de ce couple intime entre exigence et tendresse dont parle Jollien3.
Je crois aussi qu’il y a une satisfaction toute différente. Si j’arrive à l’obtenir, le fruit est plus savoureux. Notamment, car il est pour moi, et pas pour cet autre, quel qu’il soit, qui tient la carotte ou le bâton...
Je crois enfin qu’il y a une expérience toute différente. La tension étant plus relâchée, je prends conscience de tout ce qui se passe en moi sur le chemin, pas juste de la destination. Je ne suis pas concentré uniquement sur cette carotte, insaisissable, juste devant moi, ou sur ce bâton, inévitable, juste derrière moi. Je m’ouvre à ce qui se passe. Le chemin reste important, mais j’accepte en même temps qu’il fasse des détours et se perde un peu. Et ça n’est pas un problème, car je ne crains pas la perte ou la punition si je fais une pause pour lever les yeux.
Bref, ça change tout.
Notes & références
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Découvert grâce à Christiane Singer, autrice de nombreux livres dont le fabuleux : C. Singer, Du bon usage des crises, 2001. ↩
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À relire : autodétermination. ↩
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À relire : exigence et tendresse. ↩
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