Hugues Le Gendre

(note n°11 de la série soph.ia)

Vitesse et précipitation

Le théâtre de l'innovation IA peut coûter cher et s'avérer risqué pour l'organisation.

Le développement rapide de l’IA confronte les organisations à un dilemme.

D’un côté, certaines, particulièrement averses au risque, restent paralysées1 par des processus décisionnels complexes. De l’autre, plusieurs ont cédé à la pression2 en prenant des décisions plus symboliques qu’efficaces, comme l’achat coûteux de GPUs3 sans réelle stratégie d’utilisation.

Le cas d’un Canton suisse illustre bien cette situation : 700 000 euros investis dans du matériel4, mais peu d’initiatives concrètes pour l’exploiter. C’est symptomatique d’une gouvernance en silos. Un bel effet d’annonce qui a plu à la presse en 2024, mais peu de choses à raconter aujourd’hui et une infrastructure qui risque une obsolescence rapide. Bref, le pire des deux scénarios.

Surtout que l’investissement en question, même s’il reste important pour une organisation traditionnelle, est finalement très faible par rapport aux moyens considérables à mettre en place pour construire un usage de l’IA à l’échelle, comme le montre des exemples récents : Meta vient d’investir 14 milliards dans Scale AI5 et xAI dépenserait 1 milliard de dollars par mois6.

Bref, cet argent aurait sûrement pu être utilisé de façon beaucoup plus efficace pour construire des primitives simples d’innovation pour l’ensemble de l’organisation.

Lorsque les pressions politiques, stratégiques, médiatiques ou actionnariales sont fortes, il faut savoir garder la tête froide et ne pas confondre vitesse et précipitation.

Face à ces enjeux, une approche pragmatique à deux niveaux me semble pertinente :

  1. Construire des interfaces programmatiques légères qui centralisent les accès internes tout en distribuant les requêtes — LLM, textualisation de documents, vectorisation, RAG, transcription et synthèse audio, workflows — vers des services externes fournis par plusieurs grands labos IA — afin de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
  2. Déployer des interfaces utilisateurs flexibles permettant l’expérimentation sécurisée et en conscience pour tous les collaborateurs.

Les coûts d’une telle approche sont assez faibles en CAPEX et un peu plus en OPEX, mais permettent de bénéficier des dernières avancées technologiques, de comparer les acteurs, de mesurer l’usage tout en sécurisant les données. Alors que tout est encore à construire et à mettre en place, il ne faut pas avoir peur de construire en préfabriqués afin de pouvoir s’adapter avec agilité.

Notes & références

  1. À relire : L’IA, on y va ou pas ?

  2. Une étude récente d’IBM (en anglais) montre que 2/3 des organisations qui ont investi dans l’IA ne savent pas encore en quoi cela sera bénéfique, mais ont succombé au FOMO (Fear of Missing Out, c’est-à-dire la peur d’avoir raté quelque chose).

  3. Un GPU est un processeur présent dans les cartes graphiques et qui permet de faire tourner des modèles d’IA grâce à une architecture fortement parallèle.

  4. Source : Le Temps.

  5. Source : Le Monde.

  6. Source : MSN (en anglais).

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En grec, sophia signifie « sagesse pratique », « discernement » et « compétence ».
Cela me semble tout à fait approprié pour désigner une approche de l'intelligence artificielle qui ne perd pas de vue le bien commun et la sagesse pratique. Elle fait le contrepoids à l'approche dominante techno-enthousiaste, souvent dépourvue de recul critique et qui multiplie régulièrement les démonstrations à valeur ajoutée faible et impacts systémiques négatifs.
Car si l'IA va transformer notre monde, il me semble utile de monter collectivement en compétences sur ce que cela implique afin d'orienter au mieux la direction que prend notre société.

Je m'appelle Hugues Le Gendre et j’accompagne des décideurs et leurs organisations sur un chemin d’innovation et de transformation positives. Et ça me transforme.