Hugues Le Gendre

(almanach n°129 du )

Aversion à la dépossession

Comment arrêter de survaloriser ce que je possède ?

Concept

Dans la série mon cerveau me joue des tours1, rubrique mes biais cognitifs, je demande le biais d’aversion à la dépossession aussi appelé l’effet de dotation.

Une fois que l’on possède quelque chose, on lui attribue plus de valeur que lorsqu’il n’est pas à nous.

Ce biais n’est pas nouveau. Aristote l’avait déjà identifié dans l’Éthique à Nicomaque :

C’est que, la plupart du temps, le possesseur d’une chose ne lui attribue pas la même valeur que celui qui souhaite l’acquérir : chacun, c’est là un fait notoire, estime à haut prix les choses qui lui appartiennent en propre et celles qu’il donne.

Il a été plus formellement explicité dans une étude2 où l’on donnait des mugs à des étudiants et on leur proposait de les vendre ou de les échanger. On s’est rendu compte que la propension à payer était deux fois inférieure à la propension à vendre. Autrement dit, les gens ayant un mug demandaient, pour la transaction, un prix deux fois supérieur à ceux qui n’en avaient pas.

De nombreuses validations de ce biais ont ensuite eu lieu, car il a une importance capitale dans les théories économiques, notamment lorsqu’on souhaite définir la valeur de quelque chose (comme une indemnité compensatoire, etc.) J’ai trouvé celle-ci intéressante : des employés travaillent deux fois plus pour garder un bonus qui fait partie d’un package défini à l’avance que pour obtenir le même bonus hypothétique3 !

Réaction

Dans mon quotidien, ce biais apparaît par exemple dans ma quête de minimalisme : ça peut être plus compliqué de me libérer d’un objet simplement parce que je le possède. Une bonne tactique à appliquer à ce moment est de se poser deux questions : à combien suis-je prêt à le vendre ? à combien serais-je prêt à acheter un objet identique ? La prise de conscience de la différence entre ces deux prix peut être un bon déclencheur !

Ce biais a probablement joué au moment où nous avons vendu notre appartement... et aussi acheté notre maison !

Si je transpose ce biais à la relation intra- et interpersonnelle, je vois un parallèle très fort avec la difficulté que je peux avoir à mettre des changements dans ma vie. Je vais m’attacher naturellement à ce que j’ai aujourd’hui : mon travail, mon personnage4, mon statut... De même, autant que me détacher d’objets, me détacher de croyances est un exercice compliqué !

Un endroit où je trouve que ce biais est intéressant : les relations de couple. L’aversion à la dépossession a une tendance à les renforcer, car on va survaloriser les bienfaits que nous trouvons dans la relation... Un peu comme un biais de confirmation5 positif.

Invitation

Qu’est-ce qui serait différent si j’acceptais plus facilement de lâcher les choses que je possède ?

Notes & références

  1. Cette expression est inspirée du livre : A. Moukheiber, Votre cerveau vous joue des tours, 2019. Ce podcast, avec le philosophe Charles Pépin, est à écouter pour en avoir une synthèse.

  2. D. Kahneman, Jack L. Knetsch et Richard H. Thaler, « Experimental Tests of the Endowment Effect and the Coase Theorem », Journal of Political Economy, 1990, 98 (6) : 1325–1348.

  3.  »Carrots dressed as sticks », Economist, 2010, 394 (8665) : 72. Cite : Tanjim Hossain et John A. List, « The Behavioralist Visits the Factory: Increasing Productivity Using Simple Framing Manipulations », Management Science, 2012, 58 (12) : 2151–2167.

  4. À relire : personnage.

  5. À relire : biais de confirmation.

Des entités sont référencées (en lien avec d'autres apprenti-sages à découvrir) :
Daniel Kahneman (8) biais (45) minimalisme (19) couple (5)

Ce graph montre le sous-ensemble des apprenti-sages de l'almanach en lien avec celui-ci via :

Il permet de montrer la tentative de lecture synoptique que j'essaie d'avoir dans ma pratique.

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Comment interagir avec le graphe de dépendance ?

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Je m'appelle Hugues Le Gendre et je convertis les problèmes complexes de mes clients en opportunités d'agir autement et de nous transformer (eux et moi).

L'almanach Apprenti-sage est une invitation quotidienne au développement personnel et professionnel. En partageant des théories et des pratiques, documentées précisément et mises en lien avec la vraie vie, et en posant une question importante par jour, il contribue à devenir plus conscient⸱e, s'examiner honnêtement et actualiser sa propre philosophie de vie. En tout cas, ça en a été l'effet sur moi et sur des milliers de lecteurs depuis que je publie mon journal !
Il donne aussi une idée de ce que je cherche à insuffler dans mes interventions.