Me parler tout haut
Comment profiter de cette technologie cognitive ?
Concept
Lorsque je vois quelqu’un dans la rue qui se parle à voix haute, je peux lui porter un regard amusé, voire m’interroger sur sa sanité.
Pourtant, j’ai découvert une analyse très intéressante1 qui est en train de transformer ma perception et ma croyance sur le sujet.
Parler tout haut n’est pas seulement un moyen de communiquer, c’est une technologie cognitive qui encourage la formation de la pensée. Pratiquée par Cicéron dans la Grèce antique, l’idée a été développée2 par l’écrivain Heinrich von Kleist en 1805 et pourrait se réduire à l’analogie : tout comme « l’appétit vient en mangeant », « les idées viennent en parlant. »
Mais quand je suis le destinataire de ma parole, ça devient plus clivant, car c’est vu comme une version immature du dialogue intérieur, notamment présente chez les enfants3. Cela constitue plutôt un tabou social : le sociologue Erving Goffman l’explique comme une « menace à l’intersubjectivité », une violation de la présomption que la parole doive servir la communication.
Or le dialogue intérieur a été prouvé4 comme facilitant la résolution de problème, l’activation de la mémoire et la préparation à la rencontre sociale.
Mais la formation des idées dans ce contexte se fait sous une forme condensée ou partielle qui est moins efficace que le fait de parler tout haut ou d’écrire. Ces deux derniers processus favorisent aussi la création de nouvelles idées, comme si je tirais un fil.
De plus, le fait de parler tout haut augmente la qualité de l’argumentation, notamment par l’effet que la théorie de l’esprit construit un interlocuteur virtuel que je cherche à convaincre. J’adopte alors plus facilement une perspective externe5 sur mes idées et je peux les challenger pour les améliorer.
Enfin6, on se parle souvent à voix haute alors qu’on marche, ce qui renforce encore l’apprentissage et la réflexion en activant des zones similaires. Le champ récent de la cognition incarnée7 postule que l’action, comme jouer d’un instrument de musique, ne suit pas la pensée, mais l’accompagne, suivant un processus d’influence mutuelle.
Réaction
Je trouve très intéressante cette vision des choses et j’y vois beaucoup de vérités. J’ai toujours considéré l’écriture comme un très bon moyen d’obtenir une même fin. Malheureusement, l’article n’explore pas l’efficacité comparée entre ces deux méthodes de développement de la pensée.
Et en parallèle, j’essaie aussi de garder un œil critique sur le langage et la capacité qu’il a à nous tromper, que j’ai déjà évoqué plusieurs fois ici8.
Invitation
Qu’est-ce qui serait différent si j’enrichissais mon arsenal cognitif en essayant plus souvent de me parler tout haut à moi-même ?
Notes & références
-
H. von Kleist, On the Gradual Formation of Thoughts During Speech, 1805. ↩
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Dialogue qui joue d’ailleurs un rôle fondamental dans leur développement mental. ↩
-
Par Lev Vygotski et ses successeurs, comme le psychologue Charles Fernyhough. ↩
-
L’article finit sur une ouverture au sujet de Neuralink, un projet de l’entrepreneur Elon Musk, qui a pour objectif à terme de permettre la communication de cerveau à cerveau, ou cerveau à machine. Celui-ci soutient que l’on fait beaucoup d’effort à essayer de condenser des pensées complexes dans des mots, avec beaucoup de perte d’information. L’autrice de l’article le reconnaît, mais souligne aussi ce que l’on risque de perdre à considérer que parler n’est qu’un canal de communication. ↩
-
Embodied cognition en anglais. ↩
-
À relire : le mot n’est pas la chose ; la carte n’est pas le territoire. ↩
Des
entités sont
référencées
(en lien avec d'autres apprenti-sages à découvrir) :
Heinrich von Kleist
(1)
Erving Goffman
(1)
Ce graph montre le sous-ensemble des apprenti-sages de l'almanach en lien avec celui-ci via :
- une citation directe dans les notes
- un même livre de ma bibliothèque annotée
- une entité de référence commune
Il permet de montrer la tentative de lecture synoptique que j'essaie d'avoir dans ma pratique.
Comment interagir avec le graphe de dépendance ?