(note reprise dans l'almanach : aller lire la version enrichie)
Avoir ou être
Vivre collectivement plus heureux en changeant de mode de fonctionnement
Erich Fromm était un psychanalyste et sociologue du XXe siècle, influencé par Freud évidemment, mais aussi par des auteurs de philosophie pratique comme Maître Eckhart, Spinoza ou Lao Tseu. Il a d’ailleurs écrit une lecture comparée1 du bouddhisme Zen et de la psychanalyse.
En 1976, il publie en anglais un livre2 traduit plus tard sous le titre Avoir ou être : un choix dont dépend l’avenir de l’homme.
Je voulais en documenter ici quelques éléments clés, car il me semble extrêmement pertinent 50 ans plus tard.
Fromm met en opposition deux modes de fonctionnement :
- le mode avoir : où je cherche à posséder des choses, voire des gens, où j’objective les relations — « j’ai une femme » — et les pensées — auxquelles je m’accroche3, sans vouloir en changer
- le mode être : où je cherche à devenir quelqu’un, à exprimer qui je suis
Par exemple, à partir de la révolution industrielle, nous avons cessés de nous voir comme étant avec la nature mais comme pouvant la posséder, la maîtriser. Nous sommes passé de l’être à l’avoir.
Selon Fromm, le mode avoir me rend malheureux pour 3 raisons principales :
- je m’identifie à ce que je possède, et comme tout ce que je possède peut être perdu, ma propre existence est précaire
- j’entre en compétition pour avoir plus, et comme quelqu’un a toujours plus que moi sur un critère donné, je suis un éternel perdant
- je subis une adaptation hédonique4 qui fait que très vite après avoir obtenu quelque chose, je deviens triste et dépendant du désir d’après
A contrario, le mode être nous libère pour 3 raisons :
- je prends confiance en moi et je développe une force saine, car personne ne peut me prendre ce qui est en moi
- je deviens libre d’apprécier les choses sans désirer les posséder, ce qui crée des expériences de joie mutuelle avec les autres
- je cultive mon accomplissement en exprimant ces capacités d’aimer, de raisonner, de créer et de partager, indépendamment de mes circonstances de vie
Fromm est un sociologue et il a une thèse forte sur la société que nous devons mettre en place : nous sommes presque tous des produits de notre environnement et pour nous libérer de la souffrance associée au consumérisme, nous devons construire une nouvelle fondation collective d’un idéal partagé. Il est en ce sens, un bon minimaliste5.
Pour lui, favoriser le « pour quoi » plutôt que le « quoi » va améliorer ma relation
- aux gens : fin de l’objectification et de la déshumanisation et célébration d’une expression de moi honnête et créative
- aux choses : possession responsable de ce dont j’ai vraiment besoin uniquement pour vivre
- au temps : arrêt de ma quête perdue d’avance pour en gagner — hyperproductivité — ou pour le tuer — paresse
Ainsi, nous devrions transitionner d’une démocratie de spectateurs à une démocratie participative dans laquelle les citoyens priorisent le bien public. Et comme nous sommes les produits de notre culture, si suffisamment d’entre nous basculent dans le mode être, tout le monde pourra ressentir cet épanouissement profond.
C’est un sujet que je trouve fondamental, passionnant, intellectuellement très attirant et pratiquement très compliqué. Depuis quelques années, il sous-tend un certain de nombre de décision que j’ai prise, mais ça n’est pas le chemin le plus fréquenté6.
Par exemple, passer de la conception « j’ai des enfants » à « je suis père » a des conséquences multiples et profondes sur la relation que je développe avec eux et la responsabilité que cela entraîne chez moi.
Et ça n’est que l’une des nombreuses facettes de ce sujet tentaculaire que l’on peut résumer en « passer de l’avoir à l’être. »
Notes & références
-
E. Fromm, D. Suzuki et R. J. DeMartino, Zen Buddhism and Psychoanalysis, 1974. ↩
-
E. Fromm, To Have or to Be? The Nature of the Psyche, 1976. ↩
-
À relire : adaptation hédonique. ↩
-
À relire : bien-être et minimalisme ; acheter le bonheur ; soustraire plutôt qu’ajouter ; parentalité minimaliste ; les difficultés du monde moderne ; ressources intangibles ; utiliser les médias sociaux avec intention. ↩
-
En référence à : M. S. Peck, Le chemin le moins fréquenté : Apprendre à vivre avec la vie, 1978. ↩
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