(note reprise dans l'almanach : aller lire la version enrichie)
Effet Barnum
Biais cognitif -- je crois plus ce qui semble être sur mesure pour moi
Dans la série1 mon cerveau me joue des tours2, rubrique mes biais cognitifs, je demande l’effet Barnum.
Aussi appelé effet de validation personnelle, il désigne un biais cognitif qui m’induit à juger très pertinente une description de ma personnalité présentée comme étant spécifique à moi, alors même qu’elle a été conçue de façon vague pour parler à tout le monde.
L’effet Barnum a été démontré en 1948 par le psychologue Bertram Forer. Il a soumis ses étudiants à un test de personnalité et à présenté comme analyse personnalisée une description construite à partir d’un recueil d’horoscopes. Celle-ci contenait des termes vagues et pouvant s’appliquer à tout le monde.
Il va souvent de pair avec le biais de confirmation3 qui me pousse à ne retenir que les aspects qui correspondent à la vision a priori que j’ai de moi-même, mais il a deux spécificités, car il est spécialement marqué lorsque :
- l’analyse a été présentée comme sur-mesure pour moi,
- l’analyse présente une surpondération de messages positifs.
Ce second aspect le met en lien avec le principe de Pollyanna ou biais de positivité4.
Ce biais est au cœur d’une petite tension que j’ai autour de la relation entre potentielle manipulation et coaching/thérapie, que je vais essayer d’exprimer au mieux.
D’un côté, en lisant sur cet effet, on se rend compte qu’il est très exploité par des personnes cherchant à manipuler les autres. Par exemple, sur Wikipédia, on tombe sur les sujets suivants : astrologie, mentalisme, politique, numérologie, voyance, magie, etc. Cette vision « rationnelle » conduit souvent à qualifier ces pratiques de pseudoscience ou de manipulation. C’est d’ailleurs pour ça qu’il porte le nom de P.T. Barnum, cet homme de cirque aux talents de manipulateur.
D’un autre côté, l’emploi de langage non spécifique est au cœur de l’approche de l’hypnose thérapeutique — notamment ericksonienne —, qui semble faire ses preuves et est d’ailleurs de plus en plus pratiquée par des médecins, notamment à l’hôpital. Il peut être aussi très utile en coaching. Son intérêt réside dans le fait qu’il permet justement à l’inconscient du patient de se révéler en projetant ses sujets et réagissant à un questionnement choisi comme vague.
D’ailleurs, les outils de coaching — notamment ceux de Programmation Neuro-Linguistique ou d’hypnose ericksonienne — sont parfois tellement puissants qu’ils sont aussi utilisés par des sectes ou des manipulateurs pour arriver à des fins plus néfastes.
Un coach ou un thérapeute emmène-t-il parfois la personne en face de lui à des endroits de son choix ? Le pousse-t-il à se poser certaines questions, parfois contre son gré ? L’influence-t-il ? Le manipule-t-il ?
Je ne crois pas que la réponse puisse être un solide non. C’est notamment ce qui fait que la personne choisit de se faire aider. Elle a besoin de quelqu’un pour l’aider à cheminer, à explorer des angles morts et résoudre des problèmes qu’elle n’arrive pas — ou croit ne pas arriver — à résoudre seule. Et cela implique de mettre de la conscience sur des sujets sur lesquels l’inconscient garde parfois le couvercle.
Et pour moi, le cœur du sujet et la résolution de cette tension résident dans l’intention avec laquelle tout cela est fait.
Si je recours à ces méthodes pour vendre quelque chose, pour créer une dépendance ou pour asseoir mon pouvoir, alors c’est de la manipulation et ça n’est pas honnête. Une fois, quelqu’un m’a dit que son psychiatre lui avait annoncé qu’il comptait le faire arrêter de croire en Dieu. Quand on fait un projet de la sorte sur son patient, il y a quelque chose de malsain et j’aurais envie de fuir un médecin comme celui-là.
Mais si j’accompagne une personne avec une bienveillance profonde — autrement dit un amour — et un sponsoring inconditionnel, alors l’utilisation de ces outils, en conscience et en confiance, pour le bien-être de l’autre est pour moi justifiée. Et la limite entre les deux peut être parfois très fine ou floue. C’est pourquoi un accompagnant doit garder du recul sur sa pratique, notamment par un partage régulier avec d’autres praticiens.
Il y a quelques années, j’avais tendance à rejeter en bloc ces pseudosciences. Aujourd’hui, j’ai un avis plus mesuré. Si la personne qui le pratique le fait avec une bonne intention, et que c’est aidant pour la personne qui le reçoit — soit parce que cela réagit bien à des croyances qu’elle a déjà, soit parce que cela active un effet placebo —, alors qui suis-je pour le critiquer ?
Notes & références
-
J’essaie de documenter différents biais cognitifs, une fois par semaine, un peu comme je l’avais fait pour les lois de l’UX. ↩
-
Cette expression est inspirée du livre : A. Moukheiber, Votre cerveau vous joue des tours, 2019. On me l’a chaudement recommandé. Je ne l’ai pas encore lu, mais ce podcast, avec le philosophe Charles Pépin, est à écouter. Édit. : c’est maintenant fait. ↩
-
À relire : biais de confirmation. ↩
-
Probablement un apprenti-sage à venir... ↩
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