(note reprise dans l'almanach : aller lire la version enrichie)
Malédiction de la connaissance
Biais cognitif -- je ne dois pas faire de supposition sur la connaissance de l'autre
Dans la série1 mon cerveau me joue des tours2, rubrique mes biais cognitifs, je demande la malédiction de la connaissance.
C’est le biais qui survient lorsque je suppose inconsciemment que mon interlocuteur a les mêmes connaissances de base que moi pour comprendre ce que je lui dis.
Il apparaît très naturellement dans les situations où il y a une asymétrie forte d’information entre les acteurs. Par exemple,
- un professeur peut avoir du mal à se repositionner au niveau de connaissance de ses élèves lors de ses cours
- un expert qui est amené à déterminer le prix d’un objet — fromage, tableau, bijou, actions de société, etc. — peut le fixer à un niveau qui n’est pas compréhensible par un acheteur moins informé et donc moins susceptible d’en comprendre les raisons
- il m’arrive d’être en complète incompréhension sur la capacité de mes enfants à faire des liens entre certains concepts, notamment dans l’apprentissage de la lecture — accolement des syllabes, etc.
- j’ai conçu des programmes ayant un volet formation3 et positionner proprement les prérequis pour pouvoir les suivre est toujours un exercice compliqué, qui me pousse à ratisser assez largement au début
- lorsque j’essaie de vendre des programmes de développement personnel au service du développement de l’organisation3, je me suis rendu compte que je mésestimais la perception de l’importance du sujet, alors même que de nombreuses études en montrent l’intérêt
Ce biais a été découvert4 et étudié5 6 dans les années 90-2000, notamment par une expérience simple dans laquelle les gens surestimaient systématiquement la capacité d’observateurs à reconnaître des chansons dont ils tapotaient le rythme avec leurs doigts.
Ce biais est très intéressant dans le cadre de la relation interpersonnelle. Les cartes mentales et7 les lunettes sur le monde que j’ai développées, la forme d’intelligence prédominante8 que j’ai sont des facteurs qui changent fortement ma perception du monde et qui pourtant me paraissent évidents. Mes croyances et mes expériences ne sont pas présentes naturellement chez l’autre.
Lorsque je discute avec quelqu’un, être toujours en conscience de cet effet et adapter mon discours en conséquence est nécessaire, mais peut aussi être une source de perte d’énergie importante. C’est pour ça qu’on aime tant trouver les gens avec lesquels on a des atomes crochus afin de pouvoir explorer plus facilement un champ de connaissance commun. Les sujets rebondissent et résonnent sans effort.
Et en même temps, se mettre dans une posture de discussion avec quelqu’un qui a des a priori ou des niveaux de connaissance très différents a plusieurs intérêts, notamment
- éviter le group think, ce nivellement de la pensée sans contraste ni contradiction9
- vraiment comprendre un sujet : par l’application de la technique d’apprentissage de Feynman10
Pour résumer, et comme le diraient les Toltèques : je ne dois pas faire de suppositions11.
Notes & références
-
J’essaie de documenter différents biais cognitifs, une fois par semaine, un peu comme je l’avais fait pour les lois de l’UX. ↩
-
Cette expression est inspirée du titre du livre : A. Moukheiber, Votre cerveau vous joue des tours, 2019. Et de la discussion eu avec le philosophe Charles Pépin dans son podcast. ↩
-
Jane Kennedy, « Debiasing the Curse of Knowledge in Audit Judgment », The Accounting Review, 1995, 70 (2), 1995. ↩
-
Jeff Froyd et Jean Layne, « Faculty development strategies for overcoming the ‘curse of knowledge’ », 2008 38th Annual Frontiers in Education Conference, 2008. ↩
-
Colin Camerer, George Loewenstein et Martin Weber, « The Curse of Knowledge in Economic Settings: An Experimental Analysis », Journal of Political Economy, 1989, 97 (5). ↩
-
À relire : carte et territoire. ↩
-
À relire : intelligences multiples. ↩
-
À relire : loi de la proximité. ↩
-
À relire : technique d’apprentissage de Feynman. ↩
-
À relire : accords toltèques. ↩
Réagir & partager
- Participe à la conversation ou à son écho sur LinkedIn !
- Temps de lecture : 3 minutes
- Pour te poser une sage question chaque matin :