(note reprise dans l'almanach : aller lire la version enrichie)
Mono-tâche
Je ne sais pas bien faire autrement, même si je crois le contraire
On entend souvent que les hommes ne sont capables de faire qu’une chose à la fois alors que les femmes peuvent en faire plusieurs. Je ne sais pas d’où ça vient, mais je sais qu’à mon niveau cela semble assez vrai. Je suis souvent incapable de me concentrer sur plusieurs sujets différents à la fois. Ou en tout cas, ça m’est très compliqué.
Et a priori, je ne suis pas le seul. La science semble assez claire sur le sujet.
D’après la neuropsychologue Cynthia Kubu, lorsque nous pensons que nous gérons plusieurs tâches en même temps, le plus souvent nous ne faisons pas deux choses à la fois, mais plutôt deux actions individuelles en succession rapide, c’est-à-dire un switch de tâches.
Une étude1 a démontré que seulement 2,5 % des humains pouvaient vraiment traiter plusieurs tâches en même temps sans perte de performance. Le reste d’entre nous ne fait que passer d’un sujet à un autre rapidement.
Et ça a un vrai coût2 : ma performance chute fortement dans ce genre de contexte où mon cerveau est constamment en train de switcher. L’impact est même renforcé lorsque les tâches sont complexes et nécessitent ma pleine attention. Je suis moins efficace et le risque d’erreurs augmente3. Les conséquences sont multiples :
- au volant, cela entraîne une dégradation de ma conduite4
- les étudiants qui essaient apprennent moins vite et ont de moins bonnes notes5
- écouter de la musique ou regarder un film tout en écrivant un mail semble être une mauvaise idée6
- etc.
Je semble moins affecté par celui sur la musique, car j’ai beaucoup travaillé en musique sans forcément en mesurer des conséquences adverses, en tout cas dans ma perception. Mais globalement, le constat semble assez clair.
J’utilise souvent un terme issu de l’informatique pour caractériser le coût qu’il y a à passer d’un sujet à un autre : le switch de contexte. C’est exactement ce qui se passe au niveau d’un processeur : pour passer d’une tâche à l’autre, il faut charger un certain nombre de données en mémoire avant de pouvoir les exécuter. Ça rajoute un coût à chaque changement de contexte, alors même que ce coût n’existe pas lorsque le processeur effectue plusieurs tâches successives sur le même sujet.
Ainsi, ça vaut le coût de grouper des tâches cohérentes pour gagner du temps. J’en vois notamment deux types : lorsque le processus est identique sur plusieurs objets semblables et lorsqu’il y a plusieurs tâches à faire sur le même objet. Dans ces deux cas, il est très productif de protéger ce temps de traitement total des interférences, afin de ne pas passer d’un contexte à l’autre. C’est ce qui est parfois très dur en open space. Dans le premier cas, on retrouve d’ailleurs un sujet de lean management avec la taille idéale de lot.
Quand j’étais petit et qu’il m’est arrivé d’avoir des lignes à faire en punition, j’écrivais toujours le premier mot cinquante fois en colonne, puis j’ajoutais le deuxième mot autant de fois, puis le troisième... C’était beaucoup plus rapide et la perte de cohérence de la phrase n’était pas bien grave.
Dans tous les cas, une des conséquences à vouloir faire trop de choses en même temps est qu’il devient plus compliqué d’être vraiment présent à ce que l’on fait et en pleine conscience, avec toutes les conséquences adverses que l’on connaît7. La qualité principale d’un chirurgien n’est pas la précision de son geste, même si c’est important, c’est la capacité à rester concentré plusieurs heures sur une personne et effectuer une longue série de tâches.
Notes & références
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J. Watson et D. Strayer, « Supertaskers: Profiles in extraordinary multitasking ability », Psychonomic Bulletin & Review, 2010, 17, p 479–485. ↩
-
A. Leland, K. Tavakol, J. Scholten, D. Mathis, D. Maron et S. Bakhshi, « The Role of Dual Tasking in the Assessment of Gait, Cognition and Community Reintegration of Veterans with Mild Traumatic Brain Injury », Mater Sociomed., 2017, 29 (4), p 251-256. ↩
-
J. Rubinstein, D. Meyer et J. Evans, « Executive control of cognitive processes in task switching », Journal of Experimental Psychology : Human Perception and Performance, 2001, 27(4), p 763–797. ↩
-
K. Wechsler, U. Drescher, C. Janouch, M. Haeger, C. Voelcker-Rehage et O. Bock, « Multitasking During Simulated Car Driving: A Comparison of Young and Older Persons », Frontiers in Psychology, 2018, 9, p 910. ↩
-
S. Bellur, K. Nowak et K. Hull, « Make it our time: In class multitaskers have lower academic performance », Computers in Human Behavior, 2015, 53, p 63-70. ↩
-
K. Madore et A. Wagner AD, « Multicosts of Multitasking », Cerebrum, 2019, 04 (19). ↩
-
À relire : les 3 questions de l’empereur ; anti-cogito ; sensation, émotion, sentiment ; pensées pour lui-même. ↩
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